Ma petite cuisine de magicienne:
La métamorphose des coings
Des coings, voilà toute ma récolte de cette période difficile! Et même pas de vrais coings, ce n'est pas la saison!
Le parfum des coings
Je me souviens de l'odeur nourrissante des coings de mon enfance. Les coings en compote, en confiture. Les translucides quartiers de coings confits, posés sur leur tranche comme des croissants de lune roses au milieu de la table de fête. Je me souviens du parfum entêtant des coings entiers surtout, dont la peau lisse et épaisse, toute cloutée de girofle, avait pris à la cuisson cette chaude couleur des cuirs de selles: un brun voluptueux et profond. Je me retrouve petite fille à la suite de cette odeur caramélisée dans la cuisine où ma grand-mère les apprêtait, en ce jour rituel de la fin de septembre marqué par le règne éphémère du coing.
La métamorphose des coings
C'était un jour de miracle et j'en avait déjà conscience. Quoi? Ces horribles coings qui, en arrivant avec mon grand-père du marché étaient d’une laide nuance de jaune, aigre et brouillée, ces fruits pelucheux, bosselés, immangeables, étaient-ils bien les mêmes qui devenaient, une fois passés par les mains de ma grand-mère, par son savoir ancestral et sa patience de magicienne, ces merveilles fondantes, sensuelles, indiscrètement parfumées, furieusement rousses, rondes et magnifiques?
La métaphore des coings
Quoi, il se peut donc, ainsi que je l'ai appris par l'expérience dès mon jeune âge rien qu'en cueillant dans le compotier un quartier tout verni de miel, qu'une réalité triviale et amère le matin, puisse devenir le soir une merveille de justesse qui nous ouvre soudain l'horizon et dont il convient de remercier en silence la providence? Se peut-il que nous ayons entre nos mains ce pouvoir de tout transfigurer? Et comment l'apprendre, ce savoir sorcier, si ce n'est en cueillant la vie telle qu'elle se donne et en la transformant "à la main", en la cuisant, en la surveillant, en la mijotant avec amour?
Le symbole des coings
Les coings, sujet d'émerveillement de mes 10 ans, sont restés pour moi le symbole de ce que le regard poétique, ou bien le regard plein de sens et d'expérience, savent oppérer sur la réalité plate pour la transcender et la rendre consomable. Ou même magique! Le regard mais aussi le TRAVAIL. La cuisine de la vie n'est pas une sinécure! Allons! Il s'agit de se lever de bonne heure, comme faisait ma grand-mère, debout dans sa cuisine à 5h du matin. Il s'agit d'allumer le feu de ses passions et de poser dessus sa meilleure bassine de cuivre, d'empoigner le bon couteau, le pilon et le mortier, de peser, de pétrir, de transformer, de ne laisser comme dit la Fable du Laboureur "nulle place où la main ne passe et repasse". Il s'agit de l'artisanat d'art de l'existence! Et de la dignité salvatrice qui s'y attache, comme à tout artisanat.
La leçon des coings
Ce soir, je suis bien découragée. Il est tard. Je me sens éteinte et mes fourneaux intérieurs tous refroidis. Je m'assieds dans la cuisine de mon âme, avec mon panier de coings imaginaires sur les genoux. En feuilletant au fond de moi-même les vieilles recettes de mes lignées, en interrogeant la longue tradition des cuisinières de vie et ma propre expérience, je me sermonne: "Quoi, vas-tu baisser les bras? Comment? Toi? Toi, tu ne saurais pas, encore une fois, comme tant de femmes et de mères accablées de soucis avant toi, transformer ton aride provende d’aujourd’hui, les coings ingrats et acides de ton présent, en joyaux comestibles, en joie, en mystérieuse et succulente beauté?
En festin?"
Magnifique! Et si parlant...
Rédigé par : Titoune | 03/04/2011 à 21h51
c'est justement parce que vos textes sont si personnels et profonds qu'ils laissent une trace profonde en nous...sillon vivant qui m'émeut
Rédigé par : sylviee | 31/03/2011 à 18h02
c'est marrant ça, que tu ai passé du temps à réfléchir sur la nature de tes réflexions dans ton blog, car de mon côté, il y a quelques jours je me faisais la suivante...
J'apprécie vraiment cette façon de partager, de transmettre, à partir de ton propre point de vue, de ton propre vécu, pour éclairer celui des autres. C'est là pour moi la plus belle des postures, à contrario de "ceux" et "celles", quand on sollicite un peu d'écoute, nous apporte leurs conseils teintés de morale, ou encore, sous les habits de pensées "spirituelles" au gout des temps (répétées ou lues dans un recueil de citation). En s'entendant dire ces maximes, j'ai (trop) souvent la désagréable sensation d'être regardé du dessus, comme si un "vieux Père à barbe blanche" me disais une Vérité en forme de sentence, "vérité" que je n'aurais pas été capable de connaitre... Est-ce mon égo qui se rebelle ? parfois sans doute... mais bon ! Même si il est vrai que de se faire rappeler de belles philosophies de vie fait du bien, il y a l'art et la manière, et il est aussi temps avant ça ! Un temps de la bienveillance qui demande de la patience, soeur fidèle de l'écoute. Et pour en revenir à ta manière, j'y reconnais là toute la grandeur d'esprit qui se retrouve dans cet univers qui nous est si cher, les Contes ! Miroirs subtiles, miroirs d'amour, où notre espace de connaissance est appelé à se remettre à jour ! Et sans sentence... merci encore à toi, et continue à nous faire résonner.
Rédigé par : Boulay Gilles | 31/03/2011 à 14h30
Merci mes amie, ami, et presqu' amie. Vos retours sur mes réflexions personnelles sont très précieux. J'ai passé beaucoup de temps hier à me dire que je ne devrais pas me laisser aller à poster des choses aussi personnelles, aussi longues et aussi littéraires. Savoir que ça vous a touché me rassure un peu.
Rédigé par : caroleperle | 30/03/2011 à 18h34
Magicienne des mots, pour Alchimiser ses maux... Tu nous apporte tes soins aux recoins douloureux de nos vies. Tu ravives, en tes mémoires, la sagesse des anciens, faites d'essentiel, celle qui niche aux creux de nos âges. Sages femmes et hommes de toujours, si discret en leur oeuvre, nous éclaire en corps de leur art accomplit ! Présence, présent de l'instant, au coeur du Grand Livre de la Vie. Oui, Se remettre à l'ouvrage, de seconde en seconde, de minute en minute, en son laboratoire secret, se pencher avec application sur ses instruments de mesure... et être le témoin silencieux de la transformation qui s'active! Art de tous les arts, si il n'y avait qu'une oeuvre à accomplir ne serait elle pas celle de notre vie. Merci à ton regard de magicienne.
Rédigé par : Boulay Gilles | 30/03/2011 à 09h10
merveilleuse métaphore qui me parle très fort! je la garde précieusement comme outil pour les jours "sans" si vous le permettez
belle soirée
Rédigé par : sylviee | 29/03/2011 à 21h03
Happée. D'habitude réservée je ne peux pas, là, repartir sur la pointe des pieds sans dire mon émerveillement devant ce tableau magique si riche et si goûtu. Merci !
Rédigé par : Lou | 29/03/2011 à 16h10