Regard:
Une approche paradoxale du désir
En ce moment, j’ai besoin de beaucoup de choses. D’un refuge pour installer ma petite famille, d’un lieu pour organiser mon travail et établir mes activités professionnelles. Et de pas mal d'autres choses importantes encore. J’ai besoin plus que tout de sécurité, de solidité, de permanence. Mais c’est curieux, on dirait que j’ai développé une attitude paradoxale face à ce que je désire. Un détachement. Une manière de lâcher complètement ce que pourtant je voudrais le plus tenir. Comme si je refusais que par là, le besoin me tienne et me focalise.
Après le petit déjeuner, ce matin, je regarde ma chatte Dinah par dessus le bord de mon ordinateur, tandis qu’elle lève le nez de ses pattes repliées en manchon. Sa narine aventureuse bat délicatement du côté du beurrier ouvert et ses yeux se ferment à demi dans un sourire amoureux. Mais entre le moment où j’ai senti une première risée de convoitise passer sur son irréprochable robe couleur d’orage, et le moment où elle va peut-être, transgressant tous les interdits et bravant ma présence, lécher la tranche de beurre dans le beurrier, il peut se passer du temps. Un temps pendant lequel elle semble s’appliquer à ne pas vouloir le beurre. Elle se détourne avec une dignité plus qu’humaine de ce qu’elle désire, regarde ailleurs, avance de biais, tourne le dos, puis repart en sens inverse, pose un regard pensif sur la théière juste à côté, baille et feint de se replonger dans sa sieste du matin. Puis elle prétend exercer sa légitime liberté en allant flairer les roses sur le plateau.
L’innocence exagérée farde toutes ses poses, mais je sais que sa pensée n’a pas un instant quitté le beurrier ouvert. Son obsession se trahit par l’excès même de son détachement. Son manège se ralentit encore, comme si elle entrait avec une lenteur lascive, dans la maîtrise de son désir, et en goûtait le séjour. Immobile, le regard diminué, la respiration raccourcie et presque suspendue, elle est plongée dans la contemplation intérieure de ce qu'elle veut et dans le même temps, complètement défocalisée, prête à y renoncer sans broncher si j'emporte le plateau. Une admirable tenue des contraires, digne et magistrale.
Lâcher, lâcher la volonté au milieu même du plus grand besoin, refuser de forcer le sort, dédaigner de combiner, de calculer. Renoncer, disait K.G. Jung, "aux étroites intrigues du Moi". La vie est tellement plus large!
Renoncer à vouloir, ce n’est pas une idée, ni une émotion. C’est une sensation, forte et très physique. Dès que je sens l’emballement particulier qui escorte toujours l’avidité, je lâche. Ca fait du bien.
Je lâche, mais en même temps, je tiens. Je fais ce qu'il faut, je ne néglige rien, je me bouge, je cherche, je trouve. Je vis tout là haut sur mon fil, avec les yeux et les oreilles grands ouverts, et les sens en éveil. Je fais taire la bruyante volonté, pour laisser à la vie la chance de me parler à l'oreille, le soin de me guider, de me donner ce que je désire, ce que je crois qu'il me faut.
Ou de refermer à tout instant le beurrier.
wahou
exactement ce que j'ai besoin de lire en ce moment
je vais essayer de lire le conte qui me parle de ça....
Rédigé par : Christie | 19/03/2011 à 23h55
un vrai un plaisir de vous lire... observer les miroirs de la vie offert par nos compagnons de l'instant, quel qu'il soit, et les chats nous en disent bien souvent long.
Paradoxe, paradoxe, Einstein disait d'une personne qui réussit sa vie, c'est quelqu'un qui sait maintenir ensemble des forces contraires le plus longtemps possible (enfin, quelque chose comme ça), et tiens, justement c'était un physicien (clin d'oeil)lol...
Rédigé par : Boulay Gilles | 13/02/2011 à 10h11